Entretien
Propos recueillis par Marie-Stéphanie Cellerier.
Qui est Yann Letestu et que faites-vous ?
Je suis un artiste peintre, originaire de Cassis. Après avoir séjourné dans plusieurs villes, j’ai décidé de poser mes valises à Marseille et choisi un lieu chargé d’histoire, à proximité du Vieux-Port, pour recevoir le public dans mon atelier. Une pause entre deux horizons pour les visiteuses, les visiteurs et pour moi.
Comment est née votre vocation d’artiste ?
Sur un voilier, lors d’une traversée de l’Atlantique, en famille. Un voyage initiatique d’une année où, entre chaque escale, les principales occupations furent le laissé vivre, le dessin et la pêche. Avec mon frère, nous lancions les lignes, lui vidait les poisson, je les dessinais. Aujourd’hui, mon grand frère, Guillaume Letestu, exerce l’activité de marin pêcheur et moi celle d’artiste peintre.
Les cartes marines ont
ouvert mon horizon.
Quel est votre bagage artistique ?
Parallèlement à mes études aux Beaux-Arts et à plusieurs boulots de graphisme et d’illustrations, j’ai saisi plusieurs opportunités d’exposer mes peintures de façon itinérante en Provence. Cela m’a offert, très tôt, de rencontrer la critique du public. Ces rencontres ont contribué à mon apprentissage, mais surtout ont confirmé ma décision de vivre de ma peinture.
Comment votre pratique a‑t-elle évolué au fil du temps ?
Tout jeune, j’ai laissé libre cours au dessin et à l’illustration. Après les beaux-Arts, j’ai profité de plusieurs séjours au Maroc, durant lesquels j’ai réalisé beaucoup d’esquisses à l’aquarelle, sous forme de carnets de voyage. Un travail entre deux continents, réinterprété au fil du temps. Petits formats sur papiers anciens, ils ont trouvé leur place dans mon bagage. Pour autant, mon attirance pour les grands espaces. S’est révélée et le désir d’agrandir mon support, par voix de conséquence.
Les cartes marines ont ouvert mon horizon.
L’acrylique est venue enrichir la transparence de l’aquarelle et la peinture à l’huile, patiner pour emprunter à la nature. J’ai enfin trouvé ma recette.
Chacun est libre d’interpréter à sa façon et sachant que notre passé fait ce que nous sommes, il y a autant de ressentis que de regards.
Quel est votre processus de création ?
Je n’ai aucun goût pour les support neufs. Voilà pourquoi je chine des papiers anciens et des cartes marines. Ils sont une première lecture, une première histoire, avant celle de la peinture qui les accompagne comme valeur ajoutée. Techniquement, avant de réfléchir au sujet, je maroufle (je colle un support fin sur un plus épais) la carte marine sur une toile. Étape artisanale par excellence. Ensuite, lors du processus créatif, c’est l’esthétique, le graphisme de la carte qui va me servir de base de départ pour travailler la scène de façon narrative et figurative, orienter le sujet. Il reste a trouver l’équilibre entre l’exactitude du millimétré du relevé de la carte et la spontanéité de mon geste.
Quelles sont vos inspirations et références ?
J’ai eu la chance d’habiter un temps entre le musée du Louvre et le musée d’Orsay. Orientalistes, impressionnistes, romantiques… Delacroix, Turner, Daumier, Degas…
Mais au delà d’un peintre, d’un tableau ou d’un musée, ce sont les ambiances et la beauté qui sont sources d’inspiration. L’atmosphère chez les antiquaire, les brocanteurs et les balades dans les quartiers de galeristes m’inspirent aussi beaucoup et me procurent du plaisir et des idées. Ici, en Provence, mon inspiration est ailleurs. La lumière, la roche, la garrigue, la mer…
Quel est votre rapport aux thèmes qui ressortent dans vos tableaux (les voyages, la mer, la mélancolie… ) ?
L’enfance, évidemment.
Dans mes peintures, la scène de vie est discrète par rapport à la place qu’occupe l’espace. Les horizons illustrent l’idée d’un ailleurs, d’une échappée belle, d’un changement de vie, d’un nouveau cap, de voyages. Ils sont une invitation à la contemplation. Chacun est libre d’interpréter à sa façon et sachant que notre passé fait ce que nous sommes, il y a autant de ressentis que de regards.
L’émotion que provoque le fruit du travail d’un artiste est aussi une rencontre de personnalités, de cultures, de sensibilités.
Comment voyez-vous et pensez-vous l’équilibre entre réalisme et expressivité dans vos œuvres ?
C’est le jeu de compositions entre les vides et les pleins. Tout repose sur cet équilibre entre les personnages et scènes de vie, un peu décentrés, réduits à leur toute petite taille et malgré cela, point de repère ancré dans un espace qui prend toute son importance. Mais tout n’est pas dit.
Toute la partie dédiée au ciel, à l’espace, à l’horizon, à la mer est abstraite. C’est la spectatrice, le spectateur, qui construit instinctivement, spontanément, la suite de la scène, qui se l’approprie.
J’offre une suggestion, cette rencontre au travers de la peinture est ce qui nous lie.
Quel rôle tient la couleur pour vous ? Comment la travaillez-vous ?
Depuis les places aux peintres, puis au fil des voyages, jusqu’à aujourd’hui, progressivement, ma palette s’est réduite à cinq, six couleurs. Peu importe le sujet, les teintes que j’utilise sont toujours les mêmes. Elles sont le binôme d’un personnage au chapeau, récurrent dans mon travail et ils servent de fil conducteur.
… Progressivement, ma palette s’est réduite à cinq, six couleurs. Peu importe le sujet, les teintes que j’utilise sont toujours les mêmes.
Quelle est votre œuvre d’art favorite et pourquoi ?
Je pense à Géricault et « Le radeau de la Méduse » qui demeure à mes yeux un sujet autant admirable que fantastique, proche de la BD et de l’illustration et qui m’a marqué adolescent.
Je citerai aussi toute l’oeuvre graphique de Victor Hugo.
Mais, figurez-vous que mon oeuvre favorite est l’imaginaire que j’ai crée autour des musiques de films de François de Roubaix, Nino Rota, Ennio Morricone et Bernard Hermann.
Quel est votre artiste préféré et pourquoi ?
Il y a quelques années, j’aurais pu citer un nom précis comme celui d’Alechinsky ou de Moebius mais maintenant, je ricoche sur tout.
Quel est votre lieu préféré et pourquoi ?
Spontanément, je dirais Drouot mais, en réalité toutes les salles de ventes aux enchères. Mélange d’univers, de toutes ces collections, du bibelot à l’œuvre d’art.
Pouvoir tenir dans ses mains une pièce qui finira, peut-être, dans une collection particulière ou bien dans un musée. Plus jeune, dans une de ces salles, j’ai pu tenir un tableau de Gustave Doré et y découvrir l’envers, le dos. Pouvoir manipuler cette oeuvre naturellement, librement, comme celui qui la possède, peut sembler dérisoire mais, ce fut un moment de grâce pour moi.